STAËL (MADAME DE)

STAËL (MADAME DE)
STAËL (MADAME DE)

Madame de Staël est une des grandes figures littéraires de la période dite préromantique. Son œuvre, dont l’importance fut largement reconnue par ses contemporains, influença plusieurs générations. Puis la valeur et la nouveauté des ouvrages critiques et politiques s’estompèrent; le style des romans vieillit. La haine de Napoléon, les passions politiques ont fait leur œuvre: il demeure de l’histoire étrange de cette femme qui joua un rôle indéniable en ces temps bouleversés un portrait stéréotypé. Les recherches sur elle et ses amis du Groupe de Coppet vont s’amplifiant depuis les années 1960 et empruntent des voies tout à fait nouvelles.

L’héritage des Lumières

Germaine Necker, baronne de Staël, est la fille du célèbre banquier genevois Necker, dernier grand ministre de Louis XVI. Sa mère tint à Paris l’ultime salon littéraire du siècle; née dans cette ville, la jeune fille grandit en conversant avec les derniers Encyclopédistes, avec les célébrités littéraires, avec les représentants de l’aristocratie et de la politique. Protestante, elle épouse en 1786 le baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède, mariage mal assorti qui jettera Mme de Staël à la poursuite d’un insaisissable bonheur: Narbonne, Ribbing, Barante et d’autres, Rocca, le mari de la dernière heure, jalonnent cette vie douloureuse, et Benjamin Constant, le plus longuement aimé, saura le mieux lui infliger la torture de l’impossible union.

En 1788, elle publie son premier ouvrage, des Lettres sur J.-J. Rousseau , vibrant éloge du philosophe, où se dessine une attitude critique nouvelle: on ne juge plus d’après des critères extérieurs à l’œuvre et au lecteur, mais par la sympathie, en un double mouvement d’identification et de distanciation.

Le salon de Mme de Staël devient un centre de la vie parisienne et se politise à mesure qu’approchent les années décisives. Elle se jette avec passion dans la politique. Toute sa vie elle tentera de faire triompher la démocratie dont l’Angleterre offre le modèle. Mais, en août 1792, le groupe libéral dont elle est l’âme est vaincu; elle se réfugie en Suisse et retourne à la littérature. Elle publie, en 1795, un recueil de nouvelles, précédé d’un Essai sur les fictions que traduira Gœthe. En 1796, paraît De l’influence des passions sur le bonheur , étude pessimiste des souffrances que les passions engendrent; seule consolation: l’étude qui fait progresser la pensée.

De 1795 à 1800, Mme de Staël lutte pour les idées de la première Révolution et pour la réconciliation des partis, ce qui lui vaut la méfiance du Directoire et l’exil.

L’écrivain et le pouvoir

Lorsque Bonaparte prend le pouvoir, Mme de Staël voit en lui l’homme qui sauvera la Révolution. Quand elle publie, en mai 1800, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions , elle désespère déjà. Dans ce livre, elle fait coïncider préoccupations politiques et préoccupations littéraires en un plaidoyer pour les Lumières et pour la perfectibilité. Une voie est ouverte à l’étude des rapports de la littérature avec la société et la politique. Elle propose aussi de puiser des thèmes nouveaux dans le passé national, réhabilite le Moyen Âge chrétien et démontre la stérilité à laquelle les règles élaborées par l’âge classique condamnent la littérature, thème repris dans ses ouvrages ultérieurs. Le livre est mal accueilli par le nouveau maître qui n’aime pas les remises en question, et par les milieux réactionnaires en politique et en littérature.

Aussi l’époque suivante est-elle vouée à une lutte perdue d’avance. Bonaparte trouve Mme de Staël trop influente auprès des opposants regroupés autour des généraux Bernadotte et Moreau. En 1803, il la chasse, la plaçant dans la situation désespérante de qui mendie la permission de vivre en son lieu d’élection.

Dans ces années s’affermit en elle l’idée que l’écrivain a un rôle à jouer et que le génie peut aussi bien triompher par la pensée que se réaliser dans l’action. Cela ne peut convenir à Napoléon; il la classe parmi les irréductibles. L’erreur pour elle a été de croire qu’à force de montrer du talent elle convertirait l’empereur à ses idées; autre erreur d’imaginer qu’il l’accepterait à Paris sans qu’elle donnât des gages.

Les grands romans

Quand elle publia Delphine en 1802, elle aggravait son cas en évoquant des problèmes politiques, sociaux et religieux dans un esprit contraire à celui du gouvernement. Le roman remporte un foudroyant succès: l’héroïne enchante les lecteurs émus par la lente descente aux abîmes de cette trop jeune fille qui perd ses illusions sur le monde, l’amitié et l’amour, et jusqu’à l’estime d’elle-même.

Delphine et Corinne (1805), nouveau triomphe, sont dominées par l’angoisse profonde de l’auteur. Corinne, elle aussi, meurt désespérée; tout lui est donné, hors le bonheur par l’amour. Elle diffère de Delphine en ce qu’elle est artiste et génialement douée: le roman s’éclaire d’un jour très différent; les arts, la littérature font corps avec l’intrigue au lieu d’en illustrer quelques épisodes. Enfin, Corinne est le symbole et le chantre de l’Italie à la recherche de son indépendance; elle est l’écrivain guide et prophète, figure qui s’épanouira à l’époque romantique.

L’exploration de l’Europe

En exilant Mme de Staël, Napoléon lui ouvrait l’Europe. Elle étudie l’Italie dans Corinne , au moment où elle réfléchit à son grand livre, De l’Allemagne , récit d’une découverte merveilleuse qui va lui permettre de dépasser sans le renier l’héritage des Lumières. Elle prédit le renouveau de la poésie dont elle désespérait en 1800, du théâtre et de la philosophie. Le livre aurait produit un gros effet en 1810. Mais Napoléon le fait détruire avant sa publication. C’est en 1813 que De l’Allemagne provoquera une révolution dans les esprits en mettant à la portée d’un plus grand nombre les idées qui couraient dans des cercles intellectuels restreints.

Auparavant, Mme de Staël, réduite au silence, contrainte à vivre dans un petit coin de Suisse, s’est enfuie en mai 1812 à travers l’Europe en guerre; elle a découvert la Russie en plein soulèvement contre l’envahisseur. Dans les Dix années d’exil (1818), elle décrira l’éveil de l’âme russe, comme jadis celui de l’Italie ou de l’Allemagne.

L’apogée

Mme de Staël, recouvrant sa liberté, devient un acteur important dans la lutte contre Napoléon. Reçue à Saint-Pétersbourg, à Stockholm, à Londres, par tout ce qui compte en politique, elle dispose d’un pouvoir réel sur l’opinion publique. Elle acceptera les Bourbons sans joie, mais retrouvera Paris et une sorte de puissance. Elle compose alors le livre destiné à glorifier son père, livre qui s’élargira pour devenir les Considérations sur les principaux événements de la Révolution (1818), l’Empire y compris, sa conséquence essentielle; l’ouvrage se termine sur un examen du système politique anglais, modèle proposé de toute démocratie.

Mme de Staël s’éteint à Paris, avant d’avoir achevé le cycle de son œuvre et d’avoir vu triompher certaines de ses idées dans la génération romantique. Son esprit survivra par son gendre, le duc de Broglie, et à travers le groupe d’écrivains et d’amis qu’elle avait su réunir autour d’elle, ce Groupe de Coppet qui contribua à répandre à travers l’Europe un des courants d’idées les plus puissants du XIXe siècle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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